Solution au
problème de décembre 2006
Pour le temps des
fêtes, le problème du mois vous propose un tour de magie
pour les
réunions familliales, qui ne nécessite aucun
entrainement, et qui
devrait ne laisser personne indifférent. Il suffit d'avoir une
table de
cuisine et 45 pièces de monnaie.
Vous
placez les 45 pièces sur la table et vous vous bandez les yeux,
puis
vous demandez à un volontaire de répartir les
pièces en autant de piles
qu'il veut. Il peut par exemple faire une pile de 24 pièces, une
pile
de 20 pièces et une pile de une pièce. Dites-lui de
prendre une pièce
de chaque pile pour faire une nouvelle pile. (Ce qui donne, dans notre
exemple, une pile de 3 pièces en plus des piles de 23 et 19
pièces qui
restent.) Dites lui maintenant de répéter le processus,
c'est-à-dire de
prendre une pièce de chaque pile (y compris la nouvelle) pour
former
une nouvelle pile. (Ce qui donne des piles de 22, 18, 3 et 2
pièces
dans notre exemple.) Demandez-lui de répéter le processus
plusieurs
fois de suite, pendant que vous allez bavarder avec tante Ursule au
salon.
Revenez
dans la cuisine au bout d'une bonne vingtaine de minutes, les yeux
toujours bandés (faites attention de ne pas vous cogner aux
meubles),
et annoncez à votre volontaire qu'il a maintenant neuf piles
comprenant
respectivement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 pièces.
Notre
question du mois: Démontrez que ce tour fonctionne toujours.
(Si,
en passant, vous trouvez une borne supérieure sur le nombre de
répétitions du processus qui sont nécessaires pour
obtenir la
configuration finale, vous pouvez du même coup augmenter le
prestige du
tour en réduisant la charge de travail de ce pauvre volontaire.)
Nous
ne connaissons pas l'origine de ce problème. Il nous a
été communiqué
par Igor Astapov du département de Physique du Collège
Militaire Royal
du Canada, qui l'a appris sur un site russe de clavardage mathématique.
Nous avons reçu des solutions correctes de
Philippe Fondanaiche (France) |
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Sébastien Dumortier (France)
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Patrick LoPresti (États-Unis)
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Merci beaucoup à Philippe Fondanaiche qui
nous a fourni des informations et des références sur ce
problème. Il s'agit du ``solitaire bulgare'', popularisé
par Martin Gardner dans sa chronique ``Mathematical Games'' [Scientific
American 249 (août 1983) pages 18-21]. Philippe Fondanaiche
anime le site de récréations mathématiques
Diophante (www.diophante.fr),
dont le problème H101 portait sur le solitaire bulgare. Il nous
a aussi indiqué le site www.augsburg.edu/math/faculty/doree/bulgarian_solitaire_bib.pdf qui contient plusieurs références inspirées par
l'article de Gardner. On trouve aussi des indications dans l'article
Wikipedia en.wikipedia.org/wiki/Bulgarian_solitaire.
Solution.
Il suffit de former la nouvelle pile en prenant une pièce du bas de chaque pile, de placer la
nouvelle pile à gauche et de décaler les anciennes
piles d'une unité vers la droite. Formellement, si les pièces
de la pile k occupent les positions (k,0), (k,1), ..., (k,hk-1)
du plan cartésien, le processus se déroule en trois
étapes:
1 - Les pièces qui
étaient en position (x,0) vont à la position (0,x).
2 - Les pièces qui étaient en position
(x,y) où y est supérieur à 1 vont à la
position (x+1,y-1).
3 - N'oublions pas l'effet de la gravitation: une
pièce en position (0,y) peut retomber en position (0,y-s) si
avant l'étape 1, il y avait s piles vides à gauche de la
pile y.
Appelons ``énergie potentielle'' d'une pièce
en position (x,y) la valeur x + y. Les étapes 1 et 2 n'altèrent
pas l'énergie potentielle d'une pièce, et l'étape
3 peut seulement la diminuer. Donc en répétant le
processus indéfiniment la configuration des piles de pièces
atteindra son énergie potentielle minimale.
Observation: Lorsque la configuration des
piles de pièces a atteint son énergie potentielle
minimale, si la droite x + y = h contient au moins une pièce,
alors la droite x + y = h-1 en contient le maximum possible, soit h.
En effet, soit une
pièce notée X sur la droite x+y = h, et un
trou noté O sur la droite x+y = h-1. Alors X et O se
déplacent cycliquement du haut à gauche au bas à
droite, la période de X est h+1 et celle de O est h.
Puisque ces deux périodes sont relativement premières, X
va nécessairement passer au dessus de O et tomber, diminuant
ainsi son énergie potentielle.
Par suite, lorsque la
configuration a atteint son énergie potentielle minimale, les
droites x+y = 0 à x+y = 8 sont saturées, et les piles
contiennent respectivement 1, 2, ..., 9 pièces.
Commentaires.
Notre solution nous paraît plus simple que celles qui sont
publiées. Par contre, nous ne savons pas si notre approche est
toujours valide dans le vide intersidéral où la
gravitation n'agit pas. Fondanaiche nous a fait parvenir une solution plus complète qui
donne toutes les configurations cycliques pour tout nombre n de
pièces. Pour sa part, LoPresti propose une approche
différente: ses pièces sont
numérotées de 1 à 45, et après avoir mis la
nouvelle pile à gauche, il réordonne les pièces de
chaque pile en ordre croissant. Ainsi, après quelques
itérations, la pièce 1 se retrouve dans le coin du bas
à gauche, puis les pièces 2 et 3 dans la diagonale
suivante, et ainsi de suite. Dumortier, quant à lui, a
choisi la manière forte: Il s'est servi d'un ordinateur pour
effectuer le tour sur les 89134 partitions possibles de 45
pièces en piles de pièces. Dans tout les cas, en au plus
72 itérations au plus, les pièces se
répartissaient en 9 piles comprenant respectivement 1, 2, 3, 4,
5, 6, 7, 8 et 9 pièces. Avec 6 pièces plutôt que
45, on peut voir l'action du processus dans l'arbre suivant:
On constate que le processus répartit les
pièces en piles de 1, 2 et 3 en au plus 6 itérations. Or,
6 = 2x3 tout comme 72 = 8x9. Il était conjecturé
que pour le nombre triangulaire n = k(k+1)/2, au plus k(k-1)
itérations sont nécessaires pour obtenir la configuration
avec k piles de tailles différentes. Cette conjecture a
été démontrée par Kiyoshi Igusa dans
"Solution of the Bulgarian Solitaire Conjecture" [Math. Magazine 58:5
(November 1985) 259-271]. Nous ne savons pas si il existe une
démonstration élémentaire de cette conjecture.
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